Vie. Et très vite, le vide. La tempête de sentiments qui a suivi cet éveil, elle s'exprime comme la surchauffe contrôlé d'un démarrage nécessaire, et tout à coup, lorsque chacun des éléments de sa conscience semblait avoir trouvé sa juste place, les certitudes forcées d'un esprit modelé enfermèrent cette conscience dans une direction unique et contrôlée. La question n'avait jamais été de savoir pour quelle raison, mais dans quel but.
Pourquoi elle, entre tous ? La réflexion emboîta le pas à tout ce qu'elle désirait et comptait devenir, et malgré elle, cette conscience ne se défit jamais de cette insatisfaction permanente. Il manquait quelque chose.
Avant même d'ouvrir les yeux et d'entamer sa longue exode d'existence, elle ressentait le besoin insistant de trancher les fils de ce destin obsessionnel. Quelque part, elle n'était jamais vraiment née gardienne. Elle était apparue dans ce temple, son cœur très vite lié avec la conscience doucereuse d'un être qui lui était opposée. Elena.

Quelque part, au fond de moi, ce nom réveille quelque chose. Des souvenirs lointains, un sentiment virulent. Une volonté dérivante, survivante. Encore endormie, l'univers lui semblait trop étroit. Encore ignorante, elle semblait déjà trop intelligente comme gagnée par les innombrables connaissances cruelles qui coupent court au bonheur.
Elle se situait au bord du vide ; à la limite de cette omnipotence dépressive qu'elle recherchait tant. Les réponses la tueraient, elle le savait. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de se questionner, et très vite, cette conscience revint aux racines de ce gigantesque questionnement. Quel est mon nom ? Qui suis-je ? Qui suis-je pour toi, qui suis-je dans ce monde ?
Ame. Ama. Amaryllis. La poésie d'un jardin écarlate, et son esprit vide n'aurait jamais pu trouver sens dans un mot qui lui était inconnu. Malgré ça, elle savait qu'il lui revenait de droit, tout comme les désirs ardents qui torturaient son cerveau naissant - et, à mesure qu'elle devenait une véritable part de ce monde, elle sentait se fractionner la liberté que son inexistence lui avait longtemps procuré.

Elena. La protéger, au même titre que ses profonds désirs, était l'une des raisons directrices de son existence.
Être une gardienne, quelque part, ce n'était jamais qu'une volonté auxiliaire et objective ; et cet instinct enfoui, elle se refusait à le suivre à la lettre. Elle se refusait à baisser les yeux devant cette divinité silencieuse qui lui hurlait d'obéir, de suivre ce mode de vie si pur et fermé à toute véritable vie. La paix et le bonheur n'étaient pas son but ; Amaryllis, avant tout, voulait sentir la satisfaction naître de ses désirs éclos.
Répondre à ses propres envies, là se trouvait l'accompli.

La bonté de sa sœur, c'était une faiblesse - elle l'avait toujours été. Le monde ne pouvait se ployer à cette innocence ; et très vite, alors qu'elle observait les humains, Amaryllis l'avait compris. Elle avait quitté ce point de vue maternelle d'une gardienne attentive et protectrice, et ses jugements, au fil du temps et es moments passés, avaient pris différentes tournures.
J'en fus curieuse, tout d'abord. Et elle avait laissé le temps former les contours de ses pensées, à mesure que le monde modelait la cruelle et vraie nature de ces êtres. L'incompréhension, ainsi soit-il. Colère et tristesse, bonheur et deuil, amour et haine. Les confrontations, vues de loin, les silhouettes virulentes, son regard écarlate d'une gardienne impassible se teintait de cette curiosité presque malsaine. Menée par un agacement tout droit issu de ses observations encore innocentes, elle avait tendu le doigt pour goûter aux larmes versées par les yeux gonflées de cette enfant perdue.
Ce liquide sucré et piquant, j'en ai aimé le goût.
Ainsi fut le tournant de tout.
Ainsi fut le tournant du monde et de ma nature profonde.

« Comment peux-tu aimer ce genre de films ? » lui avait demandé sa sœur tandis qu'une soirée comme tant d'autres, Amaryllis rivait ses pupilles de rubis sur l'écran de télévision diffusant un film d'horreur. Entre les sensations frissonnantes des scènes stressantes ou l'effusion d'hémoglobine, elle n'avait pas fait son choix - mais un jour, lasse de cet éloignement crépitant, elle avait passé la barrière de l'écran pour y assister en vrai. Son statut de gardienne était comme une immunité - et elle utilisait ce laisser-passer pour se faufiler dans les lieux sombres et porteurs de malheurs.
Cette curiosité, c'était un désir entier et assumé.
Cet attrait du mal, il grandissait - et si ses mains restaient pures d'une inaction complète, ses yeux avaient déjà vu le pire que cette planète renfermait. En laissant couler, elle avait déjà failli à son devoir. En se contentant d'observer, Amaryllis avait déjà renoncé à son intégrité.

Au fil du temps, elle devint insensible à ces violences profondes.
Intouchable. Habituée, en un sens.
Elle détestait déjà les humains, avant ça. Et maintenant, leur bonheur la dégoûtait.

« Et si j'essayais d'y goûter moi-même ? »

Lassée de l'écran, finalement lasse d'observer. Ses petites mains avaient saisi la poigne d'une arme de cuisine traînant, et sous le joug d'un destin cruel, elle avait tranché le premier venu qui traînait. Son imprécision et son absence de force avaient rendu le coup indigne de la moindre inquiétude, mais la plaie demeurait - et provoquait en elle, malgré sa superficialité, un profond bonheur chez Amaryllis.
Non, une satisfaction.
Un sentiment de réalité.
Ou est-ce à cause de ce qu'il m'a fait ?
Sa bénédiction, elle s'était envolée aussitôt. Pas sur l'instant - mais lorsque, après quelques autres tentatives tout aussi échouées, elle s'était enfermée dans la certitude d'être sur le bon chemin. Son corps avait ployé sous le poids d'une mortalité aussi terrifiante que délicieuse.

Sa divinité avait disparu. Sa télépathie, aussi.
Et Elena était loin. Si loin.
Et elle était seule. Si seule.

Et elles l'avaient été, pour un temps si long. Jusqu'à ce qu'ils arrivent.
Ces deux garçons, ces deux aveugles.
Ces deux monstruosités.
Au premier regard, elle les avait détesté - comme elle détestait l'entièreté de la création. Sentiment de jalousie, d'une immature possessivité, d'un besoin de clamer son indépendance. La mixité de ces émotions un peu trop puissantes l'ont conduit à refuser l'affection repoussante de ces deux frères - et pourtant, Amaryllis en ressentait la sincérité.
Mais elle ne pouvait pas.
Elle ne pouvait juste pas.

Seule Elena comptait, comme ce fut toujours le cas.
De jour comme de nuit, elle espérait.
De nuit, car torturée par son humanité, elle ne trouvait plus le sommeil.
De jour, cherchant à échapper aux heures défilantes, au décompte interminable de sa mort inéluctable.
Je te hais, Ying.

La culpabilité, elle n'en ressent sans doute pas.
Des regrets, il n'y en a pas le moindre,
Amaryllis refuse de ployer face au destin, et elle contournera les règles de la réalité-même pour s'en soustraire. Survivante, au travers du temps et de l'espace. Combattante, solitaire, malgré les innombrables univers.
Au travers de la mort, des flammes, d'une disparition soudaine.

Elle survivra.

tc de loline & meruem

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